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Aix-les-Bains

Mémoires d'un micro

Aix-les-Bains, samedi 13 mai 2006
La dernière note s'envole en direction des anges. Une larme s’écrase à côté de mon pied. Tu salues et tu t'en vas, la gorge serrée par l'émotion.
Tu me laisses là, seul au milieu de la scène, comme un phare au milieu du port. Les applaudissements explosent. La lumière inonde la salle et je mesure soudain l’étendue des dégâts. Des yeux au maquillage défait, des joues mouillées de pleurs… Les spectateurs sont abasourdis par l’émotion qui vient de chavirer leurs pauvres cœurs.

Pourtant, pendant les répétitions, j'ai entendu Pierre raconter qu'ils ont commencé la journée dans la joie et la bonne humeur. Les plus jeunes sont arrivés tôt le matin et se sont installés sur les marches, sous les yeux surpris des Savoyards à peine réveillés. D'autres sont arrivés plus tard, chargés de ballons bleus et blancs, et de guirlandes de mots tendres. Ils ont décoré l'entrée, déplié les banderoles, sorti les sandwiches et les textes de chansons, et ont commencé cette longue attente en chantant... La pluie qui s'est mise à tomber ne les a même pas découragés... Ils sont restés là, serrés les uns contre les autres pour se tenir chaud.

Puis les portes se sont ouvertes, et j'ai vu arriver comme une marée humaine. Un peu brutalement, ils ont pris possession de cette belle salle aux fauteuils orange. Moi, perché sur mon pied, l’air de rien je les surveillais. Je les ai vus quitter leurs imperméables trempés, ranger leurs appareils photos, préparer leurs briquets, gonfler les ballons, et attendre en chantant, que tu viennes me rejoindre sur scène.

Autour de moi, en silence, le piano préparait ses notes, les guitares ajustaient leurs cordes et la batterie réglait ses percussions ... Mais je te devinais derrière le décor. Je t'entendais aller et venir, respirer, soupirer, plié en deux par le trac et miné par l'angoisse de les décevoir. Et tout à coup, j'ai senti les musiciens se glisser à leur place dans le noir. Tu es venu vers moi tout doucement, tu m'as pris dans tes mains, et dans cette salle baignée d’une douce lumière, Tu es enfin devenu Toi.

Tels une envolée d'oiseaux, les fans se sont précipités autour de la scène. Ils étaient si proches qu'ils pouvaient voir la sueur perler sur ton front et ta lèvre trembler de trac... Mais c'est toi qui avais fait ce choix. Loin de t'effrayer, cette promiscuité te rassurait, et c'est parmi les bulles et les confettis que tu leur as offert un spectacle époustouflant. Tour à tour émouvant, charmeur ou déchaîné, mais aussi espiègle, drôle, amusé ou ému, tu as savouré sans pudeur leurs applaudissements, leurs cris, leurs chants et leurs souhaits de Joyeux Anniversaire. Je te sentais heureux d'être là, en osmose avec tes musiciens, porté par la musique, encouragé par ta famille, dopé par la présence de tes amis, et comblé par l'enthousiasme de la salle.

Rappelé par ce public que tu respectes tant, tu es revenu sur scène. Les mains moites d'inquiétude tu m'as saisi au passage, tu t'es installé à côté du piano, et tu as magistralement chanté "Je t'écris". Mais moi qui partage tes chansons depuis des mois sur les scènes de France et de Navarre, moi qui connais par cœur la pression de tes mains, le contact de tes lèvres, la force de ton souffle et la puissance de ta voix, j'ai senti que tu avais déjà autre chose en tête. Tu en as même oublié ton texte, toi qui as une si grande mémoire... Mais les gens n’ont rien vu arriver… Ils n’ont pas compris que sur cette terre de Savoie, au milieu des tiens, tu allais régler tes comptes avec ce Dieu si injuste, en rendant un hommage public à celle qui t'a quitté et qui te manque si cruellement.

Et alors tout a basculé.

Eux qui pensaient repartir en riant, tout joyeux d'avoir partagé avec toi cette soirée aux rythmes pop, jamais ils n'auraient imaginé une telle déferlante d'émotion. Tu les as mis à terre, tu les as vidés de cette belle énergie qu'ils ont déployée tout au long du concert. Maintenant ils ont l'air de marionnettes abandonnées.

Greg, pourquoi leur as-tu chanté cette chanson ? Pourquoi leur as-tu fait ce coup-là sans les prévenir ? Tu pensais être assez fort pour aller au bout de cette Quête tout seul ? Tu vois, tu t'es trompé. Tu as été obligé de puiser en eux la force d’écrire cette page douloureuse de ton carnet intime... Ils n'oublieront jamais ce qu'ils ont vu derrière cette porte secrète que tu as entrouverte...
Allez Greg, ne pleure plus, rentre à la maison.

Joëlle, le 15 mai 2006
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